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Jean-Jacques MARCEL
raconte son expérience
de l’opération lionceaux

A la mi-août 1949, le FC Sochaux Montbéliard lance « l’opération lionceaux », une première en France. Une dizaine de jeunes footballeurs, de 18 à 20 ans, ont été recrutés d’un peu partout en France et bien sûr de Sochaux, dans l’intention d’en faire des professionnels.

Il leur est assuré le vivre et le couvert au cercle-hôtel Peugeot et un emploi aux usines selon les aptitudes de chacun. Ce sera là leur seule source de rémunération. Aspirants professionnels, ils demeurent des footballeurs amateurs. Ils suivront les entraînements des professionnels sous la direction de Paul Wartel, et encadrés par trois ou quatre réservistes pros, dont Jean Pessonneaux qui sera leur manager, ils joueront la Coupe Herlory.

Le cercle-hôtel Peugeot fera office d’internat où les jeunes seront soignés par l’équipe médicale de l’équipe professionnelle, bien conseillés par les décideurs du club mais soumis à une stricte discipline sportive et morale. Si certains ne donnent pas satisfaction, ils seront rapidement remplacés.

Avant l’ouverture du centre, les candidatures n’ont pas manqué. Les 10 premiers sélectionnés ont été :

Hédiart (Laon)

Lambert (Stade Français)

Benamou (Chambéry)

R. Telléchéa (Stade de l’Est)

Goutheraud (Nimes)

Marcel (Brignoles)

Arnold (Audincourt)

Paquet, Barret et Fiori (Sochaux).

Jean-Jacques Marcel effectue 5 saisons au FCSM, disputant 131 matchs officiels et inscrivant 12 buts. Il débute en équipe première à 18 ans , à Toulouse, le 22 Septembre 1949. Avec le FC Sochaux, il remporte la Coupe Drago 1953. Son transfert à l’Olympique de Marseille à l’été 1954 pour, à l’époque, un montant record en France, est le plus important du club, succédant à celui de Leslie Miller à Tottenham.

Jean-Jacques est titulaire de l’équipe de France 1958 qui termina 3ème de la Coupe du Monde. En 1961, MARCEL raconte son expérience de l’opération lionceaux qui apporte un éclairage de l’intérieur sur cet ancêtre des centres de formation.

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Newspaper ImageFrance Football
1er Juin 1961

Il est une expérience passionnante et une période de ma vie dont je voudrais vous parler maintenant, parce qu’elle me vient à l’esprit selon l’histoire logique de ma carrière et aussi parce qu’elle m’a beaucoup marqué : c’est mon passage à Sochaux et surtout mes débuts avec les Lionceaux.

J’avais joué à Colombes en 1949 un match de présélection d’équipe de France juniors pour lequel je ne fus pas retenu, J’en fus terriblement déçu mais à mon retour à Brignoles, Paul Wartel est venu me demander si je ne voulais pas signer à Sochaux. Je fis un match d’essai et fus engagé.

Quel dommage que cette expérience des Lionceaux ait été abandonnée par le F.C. Sochaux. Ce fut pour moi une aventure formidable.

Il y avait là une quinzaine de jeunes gaillards venus des quatre coins de France et prêts à tout dévorer Raphaël Telléchéa, Hédiart, Benamou. Lambert et les autres.

Nous habitions tous au Cercle Hôtel Peugeot qui était à notre disposition. Il était ouvert aux ingénieurs célibataires et on nous avait compris parmi eux.

Le matin. nous nous levions vers 8 heures et, après le petit déjeuner, traversions la rue pour nous rendre à l’entraînement. Nous y restions jusqu’à midi. L’après-midi, vers 14 heures, nous gagnions l’usine où nous avions tous de petits emplois. Plusieurs d’entre nous ont, par la suite, choisi d’abandonner le football pour la situation et s’en sont fort bien portés.

Le seul argent de poche auquel nous avions droit était donc le fruit de notre travail 4 heures d’usine par jour, ce qui nous donnait environ 15.000 francs. Nous n’avions pas de prime de match, mais nous étions nourris, logés, blanchis. Si nous avions besoin d’un costume, nous allions trouver M, Chabrier qui nous l’offrait.

Les primes s’élevaient alors à 1.000 ou 2.000 francs. Nous les mettions dans une caisse commune. Comme nous avions une très belle équipe, nous gagnions beaucoup de matches et beaucoup de primes. Ainsi, nous nous partageâmes en fin de saison près d’un million. Sans compter la Coupe Nationale Corporative que nous remportâmes sous le nom du F.C. Auto Peugeot, en lever de rideau de France-Ecosse et pour lequel nous reçûmes chacun un vélo Peugeot.

Nous étions quinze copains, nous débutions dans le football, nous voulions réussir, mais nous nous aimions comme des frères, Je nous revois les soirs de sorties, revenant du cinéma, bras dessus, bras dessous, nous serrant les uns contre les autres pour résister au vent glacial qui venait de Belfort. Moi. le Provençal habitué au soleil et à la chaleur, si j’ai supporté les rigueurs d’un climat aussi dur, c’est grâce à l’amitié, ça, j’en suis sûr ! Je considère cette époque comme une des plus belles périodes de ma vie.

Et, aujourd’hui, je ne peux pas revoir un Lionceau Hédiart, Raphaël Telléchéa ou Benamou sans en être tout chaviré. De Sochaux, j’ai pourtant ramené d’autres enseignements et d’autres bons souvenirs des Sud-Américains comme Muro, Montagnoli ou Zeglio qui m’apprirent énormément de choses sur le plan technique et qui étaient de surcroît des garçons charmants; de Roger Courtois qui fut un exemple aussi bien sur le terrain que dans la vie.

J’ai joué deux ans avec lui et n’oublierai jamais de quelles attentions il m’entourait: « Attention. Jean-Jacques… fais comme ceci… tes lacets, ne les attache pas ainsi… ne bois pas avant le match… ne te rase pas… l’influx nerveux à conserver… ». Il m’a donné un souci du détail que je n’avais pas. Et quand je pense qu’à 36-37 ans, il était encore si pénétré de l’importance de sa tâche, qu’il ne pouvait rien avaler avant un match et qu’il ne pouvait rien garder avant le coup d’envoi.

Quant à Paul Wartel, il m’a toujours inspiré le plus profond respect. Tout d’abord, c’est lui qui m’a fait venir à Sochaux. Tout de suite, il m’a compris. J’avais grandi de 20 à 25 centimètres en deux ans et, au moindre effort, j’étais fatigué, Je n’étais pas très rapide à ce moment-là. Pessonneaux, qui était l’entraîneur des Lionceaux, m’avait d’abord utilisé comme avant centre. Et c’est Wartel qui trouva ma voie, en me plaçant derrière, à un poste de demi où je pouvais reprendre un peu de « jus ». Paul me surveillait minutieusement. Il me disait souvent : « Si tu te sens fatigué un matin, dors, dors! Pour toi, le sommeil est beaucoup plus indispensable parfois que l’entraînement, ».

Paul Wartel est un père de famille et un technicien avisé. Sur le plan des résultats, il n’a pas toujours été récompensé comme il le méritait. Je souhaite en tout cas de tout mon cœur que le F.C. Sochaux retrouve sa place en Division 1. C’est un grand club et un foyer de football. Je crois qu’il y parviendra d’autant mieux que le support Peugeot est redevenu important depuis un an.

Ecuson Fcs(1)

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