Etienne MATTLER
raconte sa coupe du Monde 1930

En Septembre 1930, Etienne Mattler racontait en détail au journaliste Belfortain L.G la coupe du Monde 1930, la 1ère de l’histoire, telle qu’il l’avait vécue de l’intérieur. Ce très intéressant entretien a été découpé en 6 épisodes pour publication dans le journal L’Alsace, de Belfort.

En l’absence de toute couverture journalistique Française de cet évènement, ce témoignage méconnu demeure une référence unique sur le descriptif de cette aventure. Aussi, il nous a semblé essentiel de retransmettre l’intégralité des articles, sans aucune modification mais avec nos observations sur quelques inexactitudes.

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Le contexte

Dgmbbbedzbe73dgh4auuipxf5aIl y a quelques mois, plus précisément au début de cette année, M. J. Rimet, président de la Fédération Internationale de Football, exposait les grandes lignes du projet de la « Coupe du Monde.

Il s’agissait de créer une compétition nouvelle qui devait, par son importance, devenir la plus grande manifestation sportive de l’année. M. Rimet avait projeté de réunir les équipes nationales des principaux pays d’Europe et d’Amérique. Il voulait, en somme, que sous l’égide de la F.I.F.A. un tournoi international gigantesque mit en présence les joueurs sélectionnés de l’ancien et du nouveau continent.

On conçoit qu’une telle entreprise ne pouvait aboutir sans peines au succès final.

Le choix de Montevideo

Le choix des pays où devaient se disputer les rencontres était relativement facile.

L’année 1930 devait, en effet, donner lieu aux fêtes du centenaire de la République de l’Uruguay. Un stade immense, le Stade du Centenaire , devait être édifié dans la banlieue de Montévideo pour donner aux célèbres joueurs Uruguayens, vainqueurs des Jeux olympiques en 1924 à Paris, et en 1928 à Amsterdam, un cadre digne de leurs brillantes évolutions.

Cela créait des conditions favorables à l’organisation du tournoi mondial. Le point critique consistait à s’assurer la participation du plus grand nombre possible d’équipes nationales. Les déplacements à effectuer offraient malheureusement des difficultés financières et matérielles considérables.

Les Fédérations européennes furent, à ce point de vue, les plus désavantagées, si bien que plusieurs pays de l’ancien continent, et non des moindres au point de vue sportif, abandonnèrent l’idée de participer au tournoi mondial.

Ainsi s’explique l’absence des Espagnols, des Italiens, des Tchèques, des Hongrois, des Autrichiens, des Suisses, etc…, qui, tous, auraient pu jouer, à Montévideo, un rôle important.

L’équipe Française engagée

Quatre équipes européennes seulement s’engagèrent donc dans cette gigantesque épreuve sportive. Ce sont celles de Belgique, de Roumanie, de Yougoslavie et de France.

Dire que la 3.F.A. s’est décidée tout de suite à envoyer ses internationaux en Amérique du Sud serait exagéré. On hésita très longtemps, rue de Londres, avant de prendre une décision qui tenait particulièrement au cœur de M. Rimet. La dépense à engager était considérable. Le déplacement devait durer près de deux mois. Il fallait donc que les joueurs aient la possibilité de quitter leurs occupations personnelles pendant ce temps.

Mais, qui veut la fin, veut les moyens ! Au mois de mai, on pressentit certains de nos footballeurs qui s’étaient distingués pendant la saison 1929-30. Naturellement, l’attention des sélectionneurs ne manqua pas de se tourner, une fois de plus, vers notre région.

On pense aux joueurs de Sochaux

Il y avait, au F.C. Sochaux, des hommes capables de porter dignement les couleurs du football français. L’excellent et puissant arrière Mattler, le populaire Maschinot, qui avait été réincorporé dans l’équipe de France, ainsi que les deux frères Laurent, tout nouvellement venus au F.C. Sochaux, ont donc bénéficié de la confiance des sélectionneurs. Ils furent même les premiers à donner leur consentement, pour effectuer le long, pénible, mais intéressant voyage en Amérique du Sud. Il est vrai que la maison Peugeot, où ils sont employés, leur accorda obligeamment le congé nécessaire.

Et, vers le 15 juin, l’équipe de France était définitivement formée.

La sélection de Mattler

Dès que le choix des quatre sympathiques joueurs du F.C.S.M. fut connu, leurs nombreux amis ne manquèrent pas de les féliciter.

Et nous nous souvenons encore de ce jour où Mattler, tout heureux de sa sélection, nous exprimait sa joie. C’était peu de temps avant le match France-Belgique, joué à Liège. A ce moment, on parlait déjà fortement de Montévideo.

Mattler était convoqué pour tenir le poste d’arrière droit contre les Belges. Lui faisant part de notre étonnement de ne pas le voir jouer à gauche comme d’habitude, il nous répondit :
– ça ne fait rien, je suis peut-être désavantagé, mais je ferai de mon mieux…

– ça, je n’en doute pas !

– Oui… mais écoute, je te le dis franchement… j’ai envie d’aller voir l’Uruguay. Alors, tu comprends… Ca va me donner des forces…

Depuis ce jour, plus encore qu’auparavant, nous étions parmi ceux qui souhaitaient bonne chance à Mattler, car on sentait réellement que ce sympathique jeune homme ne demandait qu’à justifier pleinement la confiance qu’il inspirait.

On connaît la suite. Après avoir été convoqué pour jouer contre l’Ecosse, à Paris, Mattler fournit une bonne partie contre la Belgique, confirmant les espoirs mis en lui. Dès lors, sa sélection pour le Tournoi mondial ne faisait aucun doute.

Pour les sportifs régionaux

C’est ainsi que le jour même où Etienne nous annonça cette bonne nouvelle, l’idée nous vint de lui infliger, dès son retour d’Amérique du Sud, le supplice d’une longue interwiew.

– Tu es prévenu, à ton retour, tu nous confieras tes impressions, n’est-ce pas ?

– Si cela peut faire plaisir aux sportifs de la région, je ne demande pas mieux, nous dit Mattler.

Parole fut tenue.

Caricature Etienne Mattler du FC Sochaux Montbéliard
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Le voyage de l’équipe de France de Football en Amérique du Sud

Le départ de l’équipe de France

Ainsi que cela était convenu, l’excellent joueur international, vint donc au rendez-vous fixé.

– Alors, mon vieux, te souviens-tu au moins de la date de ton départ, lui demandons-nous, en échangeant une cordiale poignée de mains ?

– Tout ce voyage laisse des souvenirs tellement bons qu’il est impossible de les oublier. Le mardi soir, 17 juin, Lulu et Jean Laurent, Bouboule et moi, partions pour Paris. Nous devions être le lendemain au siège de la Fédération. Dès que l’on fut tous réunis autour de M. Rimet, on se lia rapidement par une sincère amitié.

– Pas de rancune contre les anciens adversaires alors ?

– Oh, pas du tout ! Les matches de club ne servent qu’à alimenter les conversations entre joueurs de l’équipe de France. Et puis nous étions tous heureux. Naturellement, les conseils, les recommandations ne nous ont pas manqués avant de quitter Paris.

– Vous avez tous voyagé en chemin de fer pour vous rendre à Villefranche ?

– Pas tous, certains de nos camarades nous y ont rejoint individuellement.

Avant d’embarquer

Villefranche, est un point d’escale des paquebots Italiens des lignes de l’Amérique du Sud. Les joueurs de l’équipe de France y furent tous rassemblés le 21 juin.

Après un bon déjeuner, leur gaieté et leur camaraderie ne tardèrent pas à se donner libre cours.

Et Mattler se met à rire.

Nous avons joué comme des gosses à « Je te pince et tu ne ris pas ». Il fallait voir la tête de ce pauvre Jean Laurent. Il s’est laissé prendre et, pendant qu’il comptait ses « noirs », toute la tablée riait de bon cœur ! C’était un bon début.

D’autant plus que l’on embarquait sans aucune appréhension, la mer était si calme !

A 15 heures, les 16 footballeurs français, accompagnés de M. Rimet, président de la F. I. F. A. et de la F. F. F. A., et de Mme Rimet, d’un entraineur, d’un masseur, etc., étaient à bord du Conte Verde, magnifique paquebot Italien, où ils trouvèrent l’équipe de Roumanie. Les présentations furent tôt faites. Entre sportifs, on est vite camarades !

Le premier soin des nôtres fut de visiter les lieux. Au bout de quelques instants, ils se rendirent compte que la traversée serait aussi agréable que possible. Paquebot luxueux, cabines très confortables, cuisine excellente… Salles de jeux, de lecture, dancing… tout est attrayant à bord.

En mer, via Barcelone

La rade de Villefranche s’estompait lorsque le « Conte Verde » prenant le large, mettait le cap sur Barcelone.

La première soirée à bord fut surtout consacrée à s’adapter à la vie maritime car plusieurs joueurs n’avaient pas encore fait de grande traversée. Les hommes de l’équipage, capitaine en tête, se montrèrent très accueillants. En outre, comme il existe une équipe de football parmi les matelots du « Conte Verde« , des liens de fraternité se nouèrent immédiatement entre eux et les joueurs Franco-roumains. La première partie de la traversée s’effectua donc sous les meilleurs auspices.

Mattler ajoute :

– Nous nous sommes couchés assez tard, ce premier soir la nuit fut courte, car dès l’aube, étant en vue de Barcelone, nous étions tous levés.

A Barcelone : Une visite inattendue

– Vous aviez de l’arrêt à Barcelone ?
Plusieurs heures, et nous en avons profité pour visiter la ville.

Mattler nous en vante la beauté et nous montre quelques photos. Sur l’une d’elles, Bouboule, Lulu Laurent et Mattler sont aux prises avec une jeune Espagnole qui leur offre un souvenir.

Avant de regagner le port, deux bonnes rencontres étaient réservées aux joueurs de l’équipe de France.

– Que vous est-il donc arrivé ?

– Nous avons d’abord appris que l’équipe de Belgique devait s’embarquer sur le même paquebot que nous. Cela nous a fait plaisir. Et comme plusieurs d’entre nous étaient de vieilles connaissances, nous avons fait une cordiale réception à nos anciens adversaires de Liège et de Paris. Ils furent, eux mêmes, très heureux de nous rencontrer.

Peu de temps avant de quitter le grand port espagnol, l’équipe de France eut une seconde et bonne surprise. Les joueurs du Red Star de Paris, en tournée à Barcelone, ayant appris la présence du « Conte Verde » dans les eaux du port, avaient à cœur de saluer leurs camarades.

Diaz, le fameux joueur uruguayen, qui commande l’équipe du R. S. O., exprima les bons voeux que ses hommes et lui-même formaient pour le onze tricolore.

C’est un type aussi galant qu’il est bon joueur ce Diaz, affirme Mattler. Il a offert une magnifique gerbe de fleurs à Mme Rimet. Ça nous a fait autant de plaisir qu’à la présidente. Peu après, la sirène du paquebot annonçait le départ.

Quel magnifique coup d’œil, on a de la mer, sur la ville et le port de Barcelone.

Le bateau faisait route vers Gibraltar, en longeant toute la côte Espagnole, qui offre un panorama très pittoresque.

Au bout d’un moment, les jeux de cartes étaient entre les mains des plus calmes tandis que d’autres fraternisaient avec les Belges et les Roumains. De temps en temps, Bouboule allait taquiner les uns et les autres. Il est vrai que Lulu savait l’accompagner !

– Vous aviez alors l’impression que vous n’alliez pas vous ennuyer à bord ?

– Au contraire, on se sentait tellement à l’aise que l’on parla tout de suite de faire une photo de tous les joueurs de football à bord. Cela ferait un groupe imposant. Les Belges et les Roumains furent d’accord immédiatement, et le capitaine du « Conte Verde» se montra enchanté lorsqu’on l’invita à figurer sur le groupe avec ses joueurs. Cette deuxième journée à bord se termina au ciné et au bal…

L’amitié spontanée qui liait entre eux les joueurs Belges, Roumains et Français, se confirmait chaque jour davantage dans l’intimité de la vie commune à bord du « Conte Verde ».

– Comment passiez-vous vos journées ?

– Rien n’était réglé d’une façon absolue. Cependant, tous les matins, il fallait être debout à 7 heures. Nous avions chaque jour une bonne leçon de culture physique. Cela nous donnait de l’appétit pour déjeuner et nous prenions un réel plaisir à respirer l’air pur de la mer à pleins poumons.

Le 23 juin, après le déjeûner de midi, les joueurs Roumains donnèrent, à leurs camarades et à tous les passagers, un concert vocal particulièrement applaudi. Leurs chants joyeux et leur entrain naturel gagnèrent la sympathie de chacun.

-Si seulement nous savions chanter d’aussi beaux choeurs que les Roumains, disait Mattler en nous parlant de ce concert.

Le fait est que les chansons françaises habituelles font souvent pâle figure à côté d’un joli choeur à 4 voix, comme savent en chanter les Slaves.

Un match de football avec des balles de tennis

Nous avons passé le détroit de Gibraltar vers 16 heures, en admirant les beautés du paysages, lorsque le « Conte Verde » s’avançait vers la haute mer l’idée nous vint de jouer au football sur le pont.

– Vous n’aviez pas peur d’envoyer vos ballons à l’eau ?

– Si… C’est pour cette raison que nous ne les avons pas servis. Nous avons joué avec des balles de tennis. Bouboule prétendait que cela lui donnerait de la précision. Mais je crois bien que ses shoots étaient si bien ajustés que c’est lui qui a fait passer le plus grand nombre de balles à la mer.

– Vous en aviez une bonne provision ?

– Une douzaine, je crois… Il n’y en a pas eu pour longtemps !

Les joueurs français, s’ils chantent moins bien que les Roumains, avaient trouvé le moyen de combler ce défaut en emportant un phonographe.

Mauvaise mer

C’était Lulu Laurent qui tournait la manivelle. Mais vers 9 heures du soir, la mer devint mauvaise; il dut abandonner sa boîte à musique. Nous avons tous été nous coucher et plusieurs camarades avaient une sale tête !

La nuit n’a pas été bonne. Le 24 juin, à l’heure de la culture physique, Capelle, Delmer et Liberati étaient encore au lit. Gaudron a tout de même voulu que l’on s’entraîne… Mais, ça n’a pas duré longtemps. Presque tout le monde avait la tête à l’envers !

Dans la journée, le temps se fit meilleur. Les footballeurs se réunissent tous.

Le Belge Adams ne nous quittait pour ainsi dire pas. Le soir, au dancing, Bouboule, l’un des boute-en-train de l’équipe, y a fait une exhibition très applaudie.

Le lendemain, cela allait mieux, poursuit Mattler: la mer était redevenue très calme et, pour comble de bonheur, nous avons organisé une séance de natation à la piscine du bord. Les passagers en ont été satisfaits. Cela les a amusés.

Notre sympathique interlocuteur se garde bien de nous dire qui fut vainqueur des courses. Espérons que les couleurs Françaises ont brillé !

Le 26 juin, le paquebot « Conte Verde » passait dans les eaux de Dakar. Oh ! quelle chaleur… Nous étions tous couchés sur le pont… Mais le soir, les amateurs de danse avaient retrouvé leurs forces.

Le baptême sous l’Equateur

Une tradition veut que les passagers franchissant pour la première fois l’Equateur reçoivent un baptême spécial.

Cela donne lieu à de grandes et joyeuses fêtes à bord des paquebots. Le 28 juin, le « Conte Verde » passait donc la ligne de partage des deux hémisphères.

Les joueurs de football des trois nations, Belge, Roumaine et Française, firent pour une grosse part les frais de la fête.

Nous avons fait une course au sac entre cinq joueurs de chaque nation. Les séries ont été très disputées, et en finale, il n’y avait plus que Jean Laurent et un Roumain.

– Qui a gagné ?

– A quelques mètres de l’arrivée, ils étaient encore ensemble. Mais Jean a fait un bond formidable pour finir, et comme il avait perdu son équilibre, il est allé s’allonger le nez contre le plancher… Tout le monde riait de bon cœur, même Jean, puisqu’il avait battu le Roumain.

– Et le baptême ?

– Oh ça se fait dans les règles. C’était presque une cérémonie religieuse.  Tout s’est terminé par un champagne d’honneur offert par le Commandant du bateau.

Le soir, naturellement, il y avait grand bal au dancing et la soirée fut tout ce qu’il y a de plus joyeuse pour nos joueurs.

La fête se continua encore le lendemain.

Ce jour là, il y eut un match au polochon !

« Nous devions nous mettre à cheval sur une barre placée en travers du pont; les deux adversaires étaient face à face armés de polochons ». Au cours des séries l’équipe de Sochaux s’est distinguée.

Nous étions deux du F. C. S. en finale: Jean Laurent et moi… Puis, fièrement, Mattler déclare « Qu’est-ce qu’il a pris le p’tiot ! ».

Les fêtes du baptême se terminèrent par un grand bal masqué, dont les dernières danses furent contrariées par la mer devenue houleuse, si bien que du 30 juin au 2 juillet chacun ne pensait qu’à rester… dans sa cabine.

La terre !

La Terre ! C’est le cri de joie de ceux qui viennent de faire une longue traversée. Il y avait 10 jours que le « Conte Verde» naviguait entre les deux continents, il était environ 16 heures, lorsque le 2 juillet, il entra dans la splendide baie de Rio de Janeiro.

Nous avions trois heures d’escale. Nous en avons profité pour visiter rapidement la ville. C’est magnifique.

– On dit même que la baie de Rio est une des merveilles naturelles du monde.

– Certainement ! Il est impossible d’en décrire toute la beauté. D’ailleurs voici quelques photos…

L’équipe Brésilienne s’embarque

– En rentrant au port, continue notre ami, nous avons dû nous faufiler dans une foule énorme. C’étaient les sportifs qui accompagnaient l’équipe Brésilienne. Quel enthousiasme !On se rendait compte de la popularité extraordinaire dont jouissent les joueurs Brésiliens, qui venaient, comme nous à Montévidéo. Quelle cohue, tout ce monde criait des « hourras » sans fin.

– Les Brésiliens prenaient donc le même bateau que vous ?

– Oui. Il y avait alors quatre équipes nationales à bord. Les Brésiliens semblaient nous regarder d’un ‘petit’ air protecteur, d’autant plus que sur les quais, la foule continuait toujours à les acclamer. Ils croyaient sans doute gagner le tournoi ! Mais ils n’avaient pas encore joué ponctue Mattler en hochant la tête…

Vers le terme du voyage

Le « Conte Verde » était déjà loin du port que l’on entendait encore les cris d’encouragement de la foule à l’adresse des joueurs du Brésil. Nous observions tout cela d’un œil calme, et je crois bien que nos amis Belges et Roumains, pensaient comme nous, « On verra».

Le 3 juillet, après avoir navigué pendant toute la nuit le long des côtes de l’Amérique du Sud, le paquebot vint faire escale de deux heures à Santos. Santos est un port important pour le commerce des cafés. La ville est très curieuse. Aussi, les footballeurs européens ne manquèrent pas de la visiter, ensemble, car ils ne faisaient pas un pas les uns sans les autres…

– Vous n’étiez plus très loin de Montévidéo ?

– Nous avons encore passé la journée du 4 juillet en mer, et le 5 juillet nous allions enfin être délivrés du bateau. Nous étions pourtant très bien à bord mais malgré cela, tout le monde était heureux à la pensée de revivre à terre.

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Le séjour de l’équipe de France à Montevideo

La réception à Montevideo

Lorsque le «Conte Verde» fut en vue de la capitale Uruguayenne, nous dit Mattler, un grand nombre de bateaux vinrent à notre rencontre. En quelques minutes notre paquebot fut assailli par une foule de photographes et de journalistes. Nous avons du « poser » au moins 20 fois avant que le bateau soit à quai. Ah, ces journalistes, quand ils veulent quelque chose, c’est presque impossible de leur échapper ! »

A terre, une foule énorme attendait. Lorsque les joueurs descendirent du paquebot, ce fut une formidable acclamation.

« Jamais je n’ai vu chose pareille répète Mattler. Nous étions tous un peu émus de recevoir un accueil aussi enthousiaste. Je ne sais pas combien de temps nous avons mis pour quitter le port. Tout le monde se bousculait sur notre passage… On se faisait marcher sur les pieds à chaque instant et j’en connais qui étaient plus à plaindre que Thépot et moi ! « 

L’équipe française se sépara bientôt des autres équipes. Chacune rejoignait, son hôtel, toujours suivie par la foule. Je crois bien que nous étions les plus entourés. Jusqu’à notre arrivée au Rowing, on nous acclamait sans cesse « Hourrah Francia ! »

Enfin, non sans peine, les joueurs français gagnèrent leur « home ». Ils furent reçus comme des rois au siège du Rowing-Club, qui est un hôtel particulier appartenant à un Société très importante de Montévidéo.

Dans un cadre charmant au bord de la mer, l’immeuble blanc d’un style particulier, est tout ce qu’il y a de plus confortable. Un parc l’entoure, abritant un terrain de football, des courts de tennis, un terrain de pelote basque, un autre réservé au basket ball… Un établissement de douches, etc…

Mattler insiste :

« Jamais nous ne saurions dire combien nous avons été choyés par les membres du Rowing. Ils ne savaient pas quoi faire pour nous être agréables. Nous étions chez eux, absolument comme des coqs en pâte. »

Les joueurs de l’équipe de France garderont toujours de leur séjour à Montevideo un souvenir enchanteur.

De son côté, M. Rimet était descendu au « Parc Hôtel« . Mais il vint plusieurs fois, accompagné de Mme Rimet, rendre visite à nos footballeurs, qui étaient d’ailleurs toujours accompagnés de MM. Gaudron, délégué fédéral, Balway, arbitre international, et Panossetti, masseur.

Au Rowing, les joueurs occupaient de petites chambres à 3 lits. Mattler logeait avec Bouboule et Veinante.

Quels paresseux ces deux-là prétend le sympathique Etienne. Combien de fois j’ai dû les faire lever et même faire leurs lits ?

Dans la journée, lorsqu’ils n’étaient pas occupés par un entraînement ou un match, les joueurs Français étaient fréquemment assaillis par les journalistes et les photographes.

On est même venu me prendre en photo, chez un coiffeur, alors que j’avais la figure pleine de savon à barbe… dit Mattler en riant.

Souvent dans la rue, au cours d’une promenade, lorsqu’ils étaient reconnus, des cris « Bravo Francia» retentissaient de toutes parts. Certains cinés et théâtres offraient. des loges à toutes les représentations pour les joueurs du Tournoi.

Nous avons eu un très grand plaisir à recevoir un jour la visite d’un grand artiste Français et de sa troupe. C’est André Brûlé. Il est en tournée en Amérique du Sud depuis un an. Nous avons assisté à l’une de ses représentations et lui ne manqua pas un de nos matches. Il a été tout ce qu’il y a de plus charmant avec nous, ainsi que tous ses artistes.

Les familles Françaises de Montevideo ne furent pas, cela se comprend, les moins empressées à fêter nos joueurs. A chaque instant, ils étaient invités chez les uns et les autres, mais sans pouvoir, malheureusement, répondre à tous.

Le Cercle Français nous a offert un lunch pendant notre séjour. Cela nous a procuré quelques instants délicieux. Nous étions vraiment choyés par tout le monde. Tant mieux.

Quand nous voulions faire une promenade, les membres du Rowing poussaient l’amabilité jusqu’à mettre leurs voitures à notre disposition.

– Et la nourriture ? Vous plaisait-elle ?

– Il aurait fallu être singulièrement difficile. Le Rowing avait embauché spécialement à notre intention un chef cuisinier français. Nous étions joliment bien soignés. On nous donnait surtout des repas légers mais fortifiants. Ils étaient toujours préparés très finement et je crois que nous avons tous pris du poids étant là-bas !

Le Rowing Club de Montevideo, résidence de l'équipe de France pendant la coupe du monde 1930
Le Rowing Club de Montevideo
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Avant les grands matchs

Le 7 juillet, nous dit Mattler, nous avons été voir un match de football. Il se disputait sur le terrain du Nacional. Ce n’était qu’un match amical mais quelle foule.

Les joueurs Français ne tarderont pas à se rendre compte à quel point le peuple Uruguayen est enthousiaste.

C’est fantastique, à ce point, qu’un joueur du Nacional ayant marqué un but, le terrain fut aussitôt envahi… Pourtant, c’est normal. Et si encore c’était le contraire qui se fut produit…

– Non tu n’y es pas, répond Mattler, tout ce monde-là voulait embrasser le joueur en question !!!

Le 8 juillet, l’entraînement bat son plein dans le camp des Français. Pas de sorties sans motif sérieux.

Le 10 juillet. l’équipe de France rencontre celle de Roumanie, hors tournoi. Les Français gagnent par 4 buts à 2, cette partie toute amicale.

– Nous passions nos moments de loisirs dans notre fameux » home ». Des invités venaient nous rendre visite. Un jour, après le repas, nous avions décidé de faire une farce à un journaliste.

– Par esprit de vengeance?

– Pour rire un bon coup plutôt ! Il s’agissait du rédacteur sportif d’un journal de Montevideo. Nous l’avons obligé de jouer avec nous à « Je te pince et tu ne ris pas ». Naturellement il s’est fait pincer… et comment. Ah ! ce que nous avons pu rire de bon cœur.

La compétition

L’ouverture du tournoi

Le jour d’ouverture du Tournoi mondial de football était attendu impatiemment aussi bien par la foule que par les joueurs de chaque nation.

Les journaux, cela va sans dire, consacraient des pages entières à ce grand événement sportif. Les photos des joueurs et des équipes étaient affichées aux devantures des grands magasins. Dès le matin, raconte Mattler, c’était la ruée vers le stade.

Le stade du Centenaire est un édifice immense. Ses gradins construits comme ceux des arènes antiques, entourant tout le terrain de jeux, peuvent recevoir au moins 100.000 personnes.

Des trains spéciaux, des quantités d’autocars et d’innombrables autos particulières déversaient aux abords des guichets une foule grouillante et enthousiaste.

Je ne sais pas si c’est partout pareil en Amérique, dit Mattler, mais il y a une chose qui m’a particulièrement frappé ainsi que tous mes camarades… Tous les spectateurs étaient fouillés avant d’entrer au stade.

Et comme les français s’inquiétaient de cette mesure, un policier leur affirma d’un ton tout à fait naturel :

« Il faut agir ainsi toutes les fois qu’il y a un grand match. Il y en a toujours dans le tas qui sont capables de se servir de leur révolver ». Le fait est que ce jour inaugural du tournoi, plus de 2.000 révolvers auraient été confisqués à l’entrée du stade.

Malgré cela, à chaque instant, on entendait un coup de pétard. Il y a là-bas, des gens qui tirent en l’air pour un rien, suivant qu’ils sont contents ou désappointés. Cela fait une impression bizarre la première fois, Mais après on s’y habitue, il fallait bien puisque les mêmes incidents se reproduisaient à chaque match.

La présentation des drapeaux

Lorsque le stade fut bondé, l’heure était venue de « présenter les drapeaux ». Les équipes nationales défilèrent en tenue sous les applaudissements enthousiastes de 100.000 personnes.

Pour bien marquer toute la sympathie de l’Uruguay vis-à-vis de la France, les dirigeants de la Fédération Uruguayenne vinrent demander aux joueurs Français de désigner l’un des leurs pour porter le drapeau de l’Uruguay au défilé des nations.

Ce fut notre ami Mattler qui eut cet honneur dont il est très fier.

Ce geste souligne bien les sentiments cordiaux qui animaient les hôtes de nos joueurs vis-à-vis de la France. Nos footballeurs en furent profondément touchés, et tous les Français seront heureux d’apprendre ainsi, quelle estime on a pour eux, par de là l’océan.

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Photo Match Cm France Mexique 1930 Affiche Match France MexiqueLe premier match officiel: La France bat le Mexique : 4 à 1

Enfin, poursuit Mattler, le jour de notre première rencontre officielle arrive. Nous devions jouer dans la poule B avec l’Argentine, le Mexique et le Chili tandis que dans les autres poules, il n’y avait que trois équipes.

– Le 13 juillet, nous devions donc jouer contre le Mexique.

– Quelle équipe aviez-vous ?

– Au but, Thépot, naturellement l’arrière Capelle et votre serviteur; aux demis, Chantrel, Pinel et Villaplane; et à l’avant, Libérati, Delfour, Bouboule, Lulu et Langilller.

– Le match (*) se serait très bien passé si Thépot n’avait pas été blessé par un coup de pied à la tête au bout de 10 minutes de jeu. Nous avons dû terminer en jouant à 10. Chantrel s’était mis dans les bois. Enfin nous avons gagné quand même par 4 buts à 1.
(*) Ce match a eu lieu à l’Estadio Pocitos, Stade du Penarol, devant 4 à 5.000 spectateurs.

Le 14 juillet, l’équipe de France s’est reposée. Avant de célébrer la fête nationale avec la colonie Française, nos joueurs ont assisté au match Brésil-Yougoslavie.

– Ce fut un match superbe, affirme Mattler, qui nous fit d’autant plus de plaisir qu’il fut gagné par les Slaves. Ah, ce jour-là, les Brésiliens ne nous regardaient pas d’un air aussi dédaigneux que le jour où ils embarquèrent sur « le Conte Verde » Cela nous a donné du courage pour le grand match que nous devions jouer le lendemain contre l’Argentine.

Le mardi 15 juillet était jour fixé pour la rencontre des équipes nationales de France et de la République Argentine.

L’immense Stade du Centenaire de Montevidéo (*) était comble. Le match s’annonçait comme l’un des plus importants du Tournoi. Il opposait une équipe favorite à celle qui bénéficiait de la sympathie populaire.
(*) En réalité, ce match a eu lieu à l’Estadio Gran Parque Central, Stade du Nacional, devant 24.000 spectateurs.

A vrai dire la victoire des Argentins ne faisait de doute pour personne. Chacun supposait bien qu’ils disputeraient la finale aux Urugayens. Mais l’équipe de France jouissait d’une popularité considérable, elle pouvait fort bien se défendre. Néanmoins, la cote était contre elle à 6 pour 1.

Caricature Etienne Mattler du FC Sochaux Montbéliard

L’Argentine bat la France par 1 but à 0

Après les dernières recommandations d’usage, les joueurs de l’équipe de France pénètrent donc sur le terrain.

Une ovation formidable et prolongée les accueille: « Hurrah Francia ! Francia !» clament des milliers de spectateurs.

« Toutes ces acclamations nous ont ému, avoue Mattler… Ça fait quelque chose, quand on est si loin de la France d’entendre acclamer son pays avec autant d’enthousiasme. Dans le fond, nous craignions tous d’être malmenés par les Argentins mais pour l’honneur du sport français et pour remercier le public de son accueil cordial, nous étions tous décidés à jouer sans défaillance.

Jamais, nous ne nous sommes présentés sur un terrain avec un tel moral ».

Pendant plus de vingt minutes, nous avons été sérieusement bousculés. Les Argentins attaquaient sans répit. Heureusement, Thépot était en forme ! Nous avons tenu le coup. Et quand nos adversaires s’aperçurent qu’ils ne nous auraient pas facilement, ils s’énervèrent. C’est alors que nos demis et nos avants attaquèrent à leur tour, vivement encouragés par le public.

A la mi-temps rien n’était marqué.

La foule trépignait et hurlait des « Francia» interminables. On commençait à entendre des coups de révolver et à voir les casquettes et les chapeaux voler dans le ciel. Mais nous n’avions plus qu’une pensée : « Tenir jusqu’au bout ».

Malheureusement la guigne s’en est mêlée. Les Argentins jouaient dur. Deux de nos joueurs furent blessés peu de temps avant le repos : Bouboule et Lulu.

Malgré cela, poursuit Mattler, nous nous sommes défendus comme des lions. Les buts Argentins étaient aussi souvent en danger que les nôtres. Plus l’heure avançait, plus le public s’emballait. On commençait à se demander s’il y aurait quelque chose de marqué quand un coup malchanceux d’un des nôtres donna le bénéfice d’un coup franc à l’Argentine.

Thépot, qui avait été merveilleux jusque-là, laissa rentrer le ballon, étant gêné par deux de nos joueurs. Quel coup dur pour nous. Mais le public, après avoir applaudi le but, se mit à hurler de plus belle: «Alli Francia! » « Alli Francia!». Alors, c’était plus fort que nous. Nous étions littéralement déchaînés. A plusieurs reprises, nous avons été sur le point d’égaliser. Et je suis convaincu, comme tous mes camarades de l’équipe, que si Bouboule n’avait pas été blessé, nous aurions pu faire match nul.

L’enthousiasme de la foule

Un incident d’arbitrage vint encore corser la fin de cette partie émouvante au possible. Tout le monde était dans un état de surexcitation extraordinaire.

Le service d’ordre, qui avait eu beaucoup de peine à maintenir la foule pendant le match, fut débordé en un clin d’œil, dès que le coup de sifflet final eut retenti.

Sans avoir le temps de faire un pas supplémentaire, tous les joueurs Français étaient agrippés par des centaines de mains, et portés en triomphe au milieu d’un enthousiasme délirant. Nous avons été portés ainsi pendant plus de 1.500 mètres. Il nous était impossible de descendre car il y en aurait eu dix pour nous hisser à nouveau sur leurs épaules.

Le plus amusant de l’affaire, continue Mattler, c’est que tous ces braves gens nous emmenaient un peu partout, au hasard. A chaque instant, nous recevions de grands coups de poing dans le dos. On déchirait nos maillots. On nous tirait par les pieds, par les mains… Et pendant ce temps-là, les deux types qui me portaient (Mattler pèse plus de 80 kilos) suaient à grosses gouttes, mais ils braillaient « Francia !» aussi fort que les autres.

Enfin à un moment propice, Largillier et moi, nous avons pu sauter à terre et bondir dans un taxi qui passait. Nous eûmes tout juste le temps de baisser les glaces car plusieurs personnes, juchées sur les marche-pieds, allaient les briser pour nous serrer les mains.

Ah! quelle journée!

Le soir, Langillier, qui s’était dépensé d’une façon remarquable, était navré que ses efforts n’aient pas été récompensés. Il en pleurait. Par contre, le capitaine de l’équipe d’Argentine, qui avait eu pendant le match de telles inquiétudes, en avait eu une crise de nerfs.

La popularité de Bouboule

Mattler, comme tous ses camarades de l’équipe de France, a rapporté, cela se comprend, plusieurs journaux locaux. Le célèbre journal « La Nacion» de Buenos-Ayres, a consacré au tournoi mondial des pages entières, publiant la photographie individuelle de tous les joueurs. Et c’est ainsi que nous avons pu nous rendre compte que le sympathique surnom de notre ami André Maschinot avait franchi l’océan. En effet, sous la photographie du Valdoyen, publiée par «La Nacion», on peut lire Laboule (sic) Maschinot du F.C. Sochaux.

Quelques semaines de plus et Laboule se serait fait croquer en bombant le torse, dans une attitude que ses compatriotes lui connaissent bien et que le caricaturiste Belfortain Delarbre sait si bien reproduire.

Que voulez-vous, on est populaire, où on ne l’est pas !

L’opinion d’un confrère

Mattler nous a donc rapporté quelques journaux. Mais comme ils sont naturellement écrits en langue espagnole, nous avons dû avoir recours à l’obligeance d’un de nos amis, M. Martinell, pour en avoir la traduction. Nous lui exprimons nos remerciements les plus sincères, pour le service qu’il nous a rendu.

Monteviedo, le 15. Interviewé, le dirigeant du football urugayen, membre du Comité organisateur de championnat du Monde, M. José Usera Bermudez, synthétise son jugement sur le match d’aujourd’hui de la façon suivante :

«Le team Argentin n’équivalait pas aux précédents. Les Français ont surpris par leurs progrès notables sur leurs jeux précédents. Par contre, le team Argentin ne me paraît pas être à la hauteur de l’ensemble des équipes du pays voisin. Les vainqueurs des Français manquèrent d’allant, ce que ces derniers eurent trop.

Il est incontestable que les vainqueurs ont montré, comme il était logique de le supposer, une technique supérieure à celle leurs adversaires et cet avantage fut sans aucun doute la raison de leur supériorité et de leur triomphe».

L’habileté ne suffit pas

Montevideo, le 15. Introduisant au football un peu de philosophie personnelle et bon marché, nous devions dire que pour être un bon goal il ne suffit pas d’en être capable. Il faut aussi avoir de la chance.

Le joueur Français qui tint un poste si délicat, est le plus vif et proche exemple de cette affirmation. Il est, sans doute, un excellent footballer et en plus la fortune lui sourit toujours de telle sorte que si quelques fois le ballon échappe à son contrôle, celui-ci rebondit au poste et ne rentre pas dans le but. Thépot est donc un gardien de but complet dans tout le sens du mot.

L’opinion de M RIMET

Montevideo, le 15. Parmi les spectateurs de la loge officielle se trouvait le président de la Fédération Internationale de Football, M. Jules Rimet. A nos questions, M. Rimet répondit ainsi sur le match :

« Le match s’est déroulé avec égalité des deux côtés donnant des forces équilibrées. Au commencement, les Argentins ont affirmé une légère supériorité sur l’ensemble Français, cependant dans le cours du match, le jeu descendit sensiblement au niveau technique noté en premier lien. Je reconnais les hautes qualités du football argentin et je suis très satisfait de l’ensemble français qui s’est comporté vaillamment ».

L’on ne pouvait pas faire mieux à Paris

Monteviedo, le 15. Quand les équipes Françaises de choix quittèrent leur patrie pour se rendre à notre capitale, elles avaient la certitude de se trouver chez nous dans un pays ami où elles seraient aimablement reçues.

Il ne pouvait pas en être autrement devant les cordiales relations, à tous points de vue, maintenues entre la France et l’Uruguay. Ce qui peut-être échappe à l’optimisme de nos visiteurs, ce fut la portée (d’ailleurs facile à expliquer) de l’appui donné par certains éléments du peuple Urugayen.

Hier, l’équipe Française joua au Parc Central, chaudement accueillie par une grande multitude, dont les applaudissements sincères et pleins d’enthousiasme de plusieurs milliers de personnes encourageaient la volonté collective de triompher dans l’entreprise.

L’on n’aurait pas fait mieux à Paris, nous en sommes sûrs.

La fête nationale Urugayenne

Le 18 juillet est jour de fête nationale en Uruguay. Cette année, c’était aussi le jour fixé pour l’inauguration officielle du Stadium. Naturellement, toute la ville de Monteviedo était en liesse.

En un geste touchant, les équipes européennes, France en tête, allèrent déposer de magnifiques gerbes de fleurs au pied de la statue équestre du général J.-G. Artigas, le grand libérateur de l’Uruguay. M. Jules Rimet, président de la F.I.F.A. et de la Fédération Française, prononça un discours chaleureusement acclamé par la population de Montevideo.

L’après-midi au Stadium, ce fut le défilé des Nations devant plus de 80.000 spectateurs.

Le match France-Chili

Le lendemain, 19 juillet, changement de décors. Ce n’était plus jour de fête, mais jour de match(*).
(*) Ce match a eu lieu au Stade Centenario devant 2.000 spectateurs.

Nos joueurs devaient rencontrer l’équipe du Chili. Après la belle partie fournie contre l’Argentine, et malgré la fatigue de deux matches joués pendant les quatre jours précédents, on pouvait espérer que les Français se distingueraient. Malheureusement, Maschinot et Lulu Laurent n’étaient pas remis de leurs blessures. De plus, Langillier était fortement enrhumé. Dans ces conditions, l’équipe Française se présenta sur le terrain avec les joueurs suivants :

Thépot: Cappelle, Mattler: Chantrel, Delmer, Villaplane; Liberati, Delfour, Pinel, Veinante et Langillier. Celui-ci se fit encore ventouser quelques instants avant le match ce qui ne l’empêcha pas de jouer courageusement.

Le Chili, après avoir dominé assez fréquemment le onze Français gagna le match par 1 but à 0. Thépot ayant manqué la réception de la balle au moment où il était bousculé par un avant Chilien.

La fatigue se faisait sentir, avoue Mattler, mais si nous avions pu jouer dans la même formation que contre l’Argentine nous aurions pu gagner ce match.

Caricature Etienne Mattler du FC Sochaux Montbéliard
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L'équipe de France sur le chemin du retour

Un voyage à Buenos Aires

Les joueurs Français avaient donc disputé quatre matches lorsqu’ils furent éliminés du Tournoi mondial. Il leur restait encore du pain sur la planche.

Le 21 juillet, départ pour Buenos Aires où nos internationaux débarquent après un voyage de quelques heures.

Mattler rapporte un excellent souvenir de la capitale de la République Argentine. C’est une ville superbe, de plus d’un million d’habitants, qui tira sa prospérité de son port magnifique, situé à l’embouchure du Rio de la Plata. Le commerce des céréales, des vins, des peaux, des viandes de conserve. etc., en fait la richesse principale.

Mais la population sportive de Buenos Aires semble tenir rigueur aux joueurs Français d’avoir résisté vaillamment à la fameuse équipe de l’Argentine.

Si nous n’avons pas joué à Buenos Aires, c’est un peu pour cette raison-là, soupçonne Mattler.

L’équipe de France chez PEUGEOT

Par contre, l’équipe de France a été reçue tout à fait cordialement par le personnel de l’Agence Peugeot, à Buenos Aires. Toute la délégation Française assista à un grand diner offert en son honneur par les représentants de la grande marque nationale, qui étaient particulièrement heureux de trouver, parmi les joueurs français, quatre gars des usines de Sochaux les frères Laurent, Maschinot et Mattler.

Pour terminer ce voyage supplémentaire, l’équipe de France s’en fut visiter Palerme, et revint ensuite à Montevideo.

L’aventure de Bouboule

Tout se passait fort bien, lorsqu’un petit incident inattendu, vint semer une irrésistible gaîté dans le camp français.

Rentrant de Buenos Aires, au moment de descendre du bateau à Montevideo, nos joueurs durent naturellement se conformer aux formalités de douane et de police.

En passant au contrôle, Bouboule et Lulu Laurent s’aperçurent qu’ils n’avaient plus leurs billets. Naturellement, on ne les laissa pas descendre, les deux sympathiques joueurs avaient beau fournir toutes sortes d’explication. Rien à faire. Bien mieux, on allait même les emmener au commissariat de police quand on se rendit compte que c’était Veinante qui était descendu du bateau avec leurs billets. Le délégué de l’équipe arrangea l’histoire mais tous les joueurs Français rirent à gorge déployée tandis que les deux victimes du sort commençaient à s’inquiéter sérieusement.

Un match contre le Nacional

Le 24 juillet (*), le fameux club Uruguayen, Le Nacional, recevait l’équipe de France. Quoique renforcé par une sélection de quatre joueurs appartenant à deux autres clubs différents, le Nacional s’inclina devant les Français.
(*) En réalité, ce match a eu lieu le 25 Juillet.

Nous avons gagné par 3 buts à 2, dit Mattler, mais ce fut un match pénible. Nous avions la même équipe que contre l’Argentine, à l’exception de Lulu, qui souffrait encore.

C’est un excellent résultat pour l’équipe de France, car  Le Nacional compte, dans ses rangs, les meilleurs titulaires de l’équipe nationale de l’Uruguay.

La fin du séjour à Montévideo

Le séjour dans la capitale de l’Uruguay touchait à sa fin. Après avoir assisté, en spectateurs, aux rencontres qui opposèrent: 1° l’Argentine et les Etats- Unis (match joué le 25 juillet et gagné par 6 buts à 1 par les Argentins qui blessèrent trois joueurs Yankee); 2° l’Uruguay et la Yougoslavie (match joué le 26 juillet et gagné par 6 buts à 1 par l’Uruguay, score trop lourd pour les Slaves), nos joueurs se rendirent, dans la soirée du 26, à la réception donnée en leur honneur, au « Cercle Français ».

Nous y avons passé une soirée tout à fait charmante et nous avons pu nous rendre compte, une fois de plus, de la sympathie des Uruguayens pour les Français.

Le départ et les adieux du Rowing

Le 27 juillet était jour fixé pour quitter la terre hospitalière de l’Uruguay.

Les membres du Rowing Club nous ont fait des adieux touchants. Nous nous sentions liés à eux par une véritable amitié. Si seulement nous pouvions avoir un jour l’occasion de leur prouver notre reconnaissance et nos bons sentiments envers eux. Jamais, nous n’oublierons la cordialité de leur accueil, pas plus que les acclamations enthousiastes de la population de Montevideo.

Je voudrais, insiste Mattler, que tous les sportifs et tous les Français sachent de quelle sympathie nous avons été entourés là-bas.

Enfin, c’est au milieu de vibrants « Hourrah Francia!» que l’équipe de France s’embarque sur « L’Alcantara », paquebot Anglais, à destination de Santos.

La traversée s’effectue normalement en deux jours, mais le paquebot se trouve dans l’impossibilité d’entrer au port, dès son arrivée, par suite du brouillard. II stationne ainsi pendant plus de deux heures, si bien que c’est seulement vers 15h30, le 30 juillet, que nos joueurs peuvent débarquer au port brésilien de la province de Sao Paulo.

Un match contre l’équipe Brésilienne

C’est pour ainsi dire à sa descente du paquebot que l’équipe de France dut rencontrer une formation Brésilienne. Nous étions fatigués, affirme Mattler. Notre équipe ne pouvait pas jouer au complet, et la guigne s’en mêla, si bien que nous avons encaissé 6 buts à 1. C’est beaucoup !

Mais, c’est un résultat faussé. Le match s’est terminé dans la nuit, le ballon passa trois fois dans notre cage en quelques minutes sans qu’aucun de nous l’ayons vu.

Ce résultat avait quelque peu découragé nos joueurs. Cependant, un voyage à Sao Paulo les remit d’aplomb. Quittant le port de Santos, l’équipe Française partit, en effet, le 31 juillet, pour Sao Paulo, qui se trouve à quelques kilomètres vers l’intérieur.

De Sao Paulo à  Rio de Janeiro

Sao Paulo, est une grande ville de près de 700.000 habitants. Des monuments magnifiques, des parcs splendides, des villas de toute beauté en font une des plus jolies cités de l’Amérique du Sud. Après l’avoir visitée pendant la journée, les joueurs prirent le train, le soir, à destination de Rio. Nous avons voyagé en « Pullmann« . Mais nous n’avons cependant pas pu dormir. Il faisait trop chaud.

A Rio de Janeiro

C’est donc le 1er août, à 11 heures, que l’équipe de France arriva à Rio-de-Janeiro, capitale du Brésil. Les joueurs étaient de plus en plus fatigués et abattus par la chaleur. Après avoir pris un bon déjeuner et fait une petite promenade reposante, ils étaient cependant en assez bonne forme pour affronter, le soir même, l’équipe nationale du Brésil.

Le match se joua en nocturne, sur un terrain inondé de lumière, par une multitude de puissants lampadaires. La rencontre était importante. L’équipe Brésilienne se présentait au complet, renforcée par certains joueurs de Sao-Paulo. Ceux-ci, par suite d’une mésentente passagère avec leur fédération, n’avaient pas participé aux matches de Montevideo. L’équipe opposée à la France en était d’autant plus forte.

Le match France – Brésil

Les joueurs Français ne se laissèrent pourtant pas intimider. Au contraire, ils voulaient pour leur dernier match, confirmer leur brillante tenue à Montevideo et effacer l’échec injustifié de Santos.

Le match se disputa d’une façon acharnée de part et d’autre. Les Brésiliens, qui n’ont jamais été battus chez eux en match international, ne s’en montraient cependant pas très confiants. Au bout de vingt minutes de jeu, nos représentants menaient 2 buts à 0. Cela causait une véritable stupéfaction chez les joueurs du Brésil. L’arbitre aidant, ils remontèrent le handicap et parvinrent même à prendre l’avantage d’un but. Vers la fin, Maschinot, sur le point d’égaliser, échoua d’un rien. C’est dommage, car, au dire de Mattler, son ami, quoique mal remis de sa blessure, avait fait l’impossible pour éviter une défaite à l’équipe de France. Le match nul aurait été mérité.

Malgré cela, les Français sont contents et les Brésiliens sont convaincus que nos joueurs sont bien près des leurs.

Le bilan de la tournée

C’était le septième match joué par l’équipe de France. Le bilan s’établit donc ainsi :

• France bat Roumanie  4 à 2

• France bat Mexique  4 à 1

• Argentine bat France  1 à 0

• Chili bat France  1 à 0

• France bat Nacional  3 à 2

• Santos bat France  6 à 1

• Brésil bat France  3 à 2

L’équipe de France a donc remporté trois victoires et s’est fait battre quatre fois. Nos joueurs ont marqué 14 buts et en ont reçu 16 de leurs adversaires.

Ce résultat est meilleur qu’on l’espérait. Si certains de nos bons représentants n’avaient pas été blessés, il aurait été certainement plus élogieux encore.

Avant le retour

Nos joueurs profitèrent de leurs dernières journées pour visiter Rio-de-Janeiro.

Mattler nous en vante tous les charmes mais il garde surtout une impression profonde de la beauté indescriptible de la rade merveilleuse de Rio.

« On ne peut pas espérer voir quelque chose de plus joli. On vit, là-bas, comme dans un rêve ».

Une excursion au fameux « Pain de Sucre » s’imposait. Les joueurs Français ne manquèrent pas de le faire, et furent ravis par le panorama unique que l’on découvre du haut des 420 mètres de ce mont célèbre dans le monde entier. On accède au sommet par une cabine téléférique.

Le soir, au Pain de Sucre, raconte Mattler, on croit vivre dans un conte de fées, en voyant toutes les mille et mille lumières de la ville et de la rade qui scintillent dans les eaux calmes de la mer.

Malheureusement, tout a une fin.

Etienne Mattler et l'équipe de France découvrent la baie de Rio en marge de la Coupe du Monde 1930
Etienne Mattler et l'équipe de France découvrent la baie de Rio
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Le retour

Dans la nuit du 2 au 3 août, à 1 heure du matin, l’équipe de France quittait la terre de l’Amérique du Sud. Elle s’embarquait sur le « Diulio », paquebot Italien, où elle retrouva, joyeusement, ses amis des équipes Belge et Roumaine. Tous ces joueurs étaient heureux de se retrouver.

A 5 heures, le paquebot levait l’ancre. Beau temps et mer calme. Les footballeurs vivent tranquillement à bord. Au passage sous l’Equateur, une nouvelle fête mit, à nouveau, tout le monde en gaité. L’équipe de France donna le mouvement. Les joueurs organisèrent une gymkana qui obtint un succès fou.

Le 8 août, le « Diulio » était au large de Dakar. Il faisait une chaleur terrible. Le 10 août, passage à Las Palmas.

Le 12 août, Lucien et Jean Laurent, Chantrel et Pinel furent victimes de l’entrain de leurs camarades. Alors qu’ils étaient au bord de la piscine du paquebot, des mains charitables (!) les poussèrent à l’eau. Les pauvres prirent un bain forcé, à la grande joie des passagers.

Le lendemain, le « Diulio » arrivait à Barcelone à 16 heures. Après deux petites heures d’escale, il reprenait sa route vers Villefranche.

Le 13 août, les joueurs Français et Belges, après avoir quitté leurs bons amis Roumains, mettaient pied à terre. Ils étaient reçus par des officiels de la 3.F.A. et… des journalistes. Le soir, ils étaient attendus à Nice, où ils reçurent une cordiale réception.

Von Kesbecke, délégué Belge, remercia les Niçois et exprima aux joueurs français toute la sympathie qui les unissait à leurs frères d’outre Quiévrain. Le lendemain soir, vers 17 heures, ce fut la séparation définitive. Les joueurs reprenaient le chemin du bercail.

Nous avons fait un voyage splendide, conclut notre ami Etienne, mais nous étions tous contents de rentrer et de revoir le pays.

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